Agenda/CICIBA Horizon 2030

Domaines de la recherche et de la production culturelle

 Le CICIBA est un foyer de recherche, de documentation, de formation et de coordination de la quête collective de l’affirmation et de l’identité bantu. A cette fin, il entend articuler et consolider, dans une dynamique heuristique et d’intellection, ses ambitions autour des axes épistémiques clairement définis.
Privilégiant la transversalité épistémique et l’interdisciplinarité qui fondent ses approches de recherche depuis sa fondation, le CICIBA s’accorde une plus grande ouverture à tous les champs scientifiques que couvrent ses missions autour de trois axes principaux :  
  1. la Banque de données ;
  2. la recherche scientifique, et
  3. la production culturelle.
Il va sans dire qu’atteindre une telle ambition passe forcément par une coopération tous azimuts et agissante avec l’ensemble des partenaires de notre Institution, désireux de nous accompagner dans les domaines suivants :
  • arts
  • archéologie et musée
  • linguistique
  • philosophie
  • religion
  • pharmacopée
  • musicologie/ethnomusicologie bantu
  • musicologie bantu-créole
  • afro-créolité bantu
  • anthropologie
  • sociologie
  • sémiologie
  • histoire
  • écologie
  • démographie
  • littératures (écrites et orales)
  • géographie
  • études islamo-bantu, etc.
Tout en privilégiant l’ouverture des écoles, les méthodologies les plus appropriées, capitalisant les privilèges d’un comparatisme convivial (pour certaines disciplines), seront convoquées, dans le cadre du programme de la recherche scientifique, selon les exigences de l’épistémologie contemporaine.

ORIENTATIONS POUR LA RELANCE DES PROGRAMMES SCIENTIFIQUES ET CULTURELLE DU CICIBA

Horizon 2030

AXES EPISTEMOLOGIQUES

Une épistémologie holiste pour dire toute l’identité bantu 
  Le patrimoine culturel bantu est vaste. Vaste est aussi l’ambition qui porte le programme consacré à la réalisation des objectifs du CICIBA.
C’est que, déjà en créant le CICIBA, le président Omar Bongo Ondimba, en homme visionnaire lucide des enjeux culturels de son temps, avait accompli un rite de fondation. Rite de fondation, ainsi que l’écrivait le Directeur Général honoraire du CICIBA, Théophile Obenga, « devenu un appel et une promesse. Un appel à l’unité, à la solidarité du monde bantu. Face aux arias de toutes natures et à leurs manifestations aiguës. Une promesse, celle qui tourne définitivement des peuples entiers vers l’avenir, une fois assumé l’héritage commun. Aussi, parmi les grands signes qui jalonnent et marquent d’une pierre blanche la route des peuples africains contemporains, le CICIBA apparaît-il comme l’étoile du matin, illuminant la marche des peuples de l’Afrique du milieu de vérité et de vies nouvelles, en leur effort collectif de développement considéré dans sa totalité ». Pour sûr, une totalité est toujours holiste, centripète. A la fois « centre éthique et mythique de l’humanité », selon le propos de Paul Ricœur, l’aire bantu ne peut trouver sens que dans la totalité de ses convictions, de ses cultures, de ses manières d’être-au-monde, en somme de ses civilisations. Dès lors, seules des sciences déployées en cordial dialogue sont capables de permettre l’accès à cette totalité-là. D’où le choix pour l’interdisciplinarité, adopté dès le début par le CICIBA dans l’étude des civilisations bantu. Quand il est question de faire découvrir une expérience longue de plus de trois millénaires, quoi de plus normal que d’actionner le curseur de la connaissance vers tous les azimuts. Si au début, le secteur des études bantu semblait longtemps reposer principalement sur deux disciplines euristiques quasi exclusives — l’archéologie et la linguistique (elles qui, avec leurs limites intrinsèques, nous ont tant renseigné sur la réalité bantu) —, aujourd’hui le réalisme épistémologique commande d’élargir l’angle de vision à toute la science, sinon au savoir totalisant. Force est donc de noter que le monde bantu est pluriel, parfois pluralisé par les contextes épistémiques et les angles de saisie qui fondent ses études. La raison est que, le monde bantu quoique parfois accablé par les effets résiduels des colonisations, de la traite négrière, des déracinements de ses édifices culturels, le doute et l’égoïsme, est aussi, et à égale considération, tout à la fois, endogène, exogène, moderne, archaïque, transculturé, historique, biologique, anthropologique, sociologique, juridique, philosophique… Le monde bantu fait donc système. En cela, il mérite d’être investigué sur la base d’une épistémologie exigeante en tant que fondement de la pensée critique (Kant, Husserl, Barth, Bachelard), et avec la même curiosité et le même intérêt dans toutes ses dimensions transversales et hadales. Dimensions à bien des égards matérielles, spirituelles, métaphysique, ésotérique, exotérique, ontologique, ontomythologique... Qui plus est, il se doit d’être exploré avec hardiesse et finesse, mieux qu’hier, tour à tour à partir des toponymes, anthroponymes, ethnonymes, hydronymes… — autres lieux d’identification fœtale, intimes. Voire à partir des systèmes institutionnels, des littératures orales et écrites, de toute la panoplie des créations artistiques, des croyances religieuses ou profanes, de la pensée cosmologique, des théodicées spécifiques, des mythes et rites (re)vivificateurs… Tout cela, en vue d’apporter des réponses idoines à la grande question de l’identité culturelle bantu qui est au cœur de la quête des Etats membres au sein du CICIBA. Elle qui se reflète au cœur de tant de cultures si dynamiques en articulant une identité si dense et polygénésiaque au sujet de laquelle se pose encore la question de « sa nature, sa spécificité, son contenu, sa dynamique historique, sa portée humaine, son actualité enfin » (id.). Comme dépositaire des cultures, des manières de dire et d’assumer cette culture à partir de son altérité propre, au sein de l’espace culturel bantu, il a été développé au fil des âges avec un génie insurpassé, « des arts, des danses, des spectacles, des chorégraphiques, des musiques, des architectures, des littératures, des idéologies, des codes inventés, élaborés au cours des temps par des peuples qui parlent précisément les langues bantu, et ils ont su se servir de ces langues, les leurs, pour dire et affirmer leur vie de chasseurs, de pêcheurs, d’agriculteurs, de narrateurs, de métaphysiciens » (id.). Il sera donc utile d’en faire économie exigeante de manière à en relever les meilleures fibres de l’imagination créatrice, tout en évaluant les paramètres diachroniques et synchroniques dont participent les allégeances intimes à l’identité et à la fierté bantu telle qu’elles résistent aux assauts de l’aliénation. Vu de la sorte, le fait bantu apparaît comme une réalité historique bien vivante et profondément attachée à la dignité bantu. A cet égard, cette réalité-là ne serait-elle pas en droit de recevoir un traitement chronologique (et pas seulement ethnographique) qui n’annihile pas sa substance sa gestualité particulière. Il s’agit, on le voit, d’une réalité humaine (qui n’est donc pas morte) portant ses propres interrogations et réponses dans sa perpétuation du passé et sa projection vers le futur, dynamique, culturelle, globale, affirmant enfin sa personnalité propre. Aux récurrentes questions gnoséologiques, philosophiques  ou ceux relevant de géographie (géographie physique s’entend), de l’écologie ou autres restées sans réponse, et qui font encore obstacle, s’impose forcément le choix d’attitudes nouvelles, audacieuses, parfois dérangeantes, mais nettement ouvertes à une épistémologie rigoureuse. Sans avoir à rompre la chaîne de la complémentarité méthodologique, tout cela mérite d’être exploré en capitalisant l’effort de réactualisation de la science et ses méthodes au-delà des limites contemporaines. Pour travailler à la clarté de tant de préoccupations heuristiques, les futures recherches du CICIBA, en même temps que l’Institution elle-même s’emploiera à élargir sa famille bantu en s’ouvrant fraternellement, diplomatiquement et politiquement aux autres espaces qui traînent encore les pieds, gagneraient en efficacité à stimuler la double exigence de l’interdisciplinarité et du comparatisme évoquée ci-haut. C’est déjà assez convaincant de voir que le concept « bantu » lui-même procède non pas d’une forme de linguistique introvertie, mais bien de la linguistique comparée et de ses procédés discursifs. Là, tirant sa sève matricielle de la linguistique historique à travers ses strates gnoséologiques, c’est la « bantouistique » qui nous l’enseigne ainsi. Une telle posture dit assez clairement le souci qui anime le CICIBA dans ses ambitions de donner sens à sa quête identitaire la plus hardie et légitime. Pour que — et qui l’en dissuadera ? — une fois ses civilisations les plus prestigieuses suffisamment diffusées et comprises à travers le monde, le CICIBA accompagne ses progrès de développement vers l’émergence, fièrement drapé de son auréole de dignité… bantu.  

Pr Manda Tchebwa

Directeur Général du CICIBA

 
La vision qui a conduit à la création du Centre International des Civilisations Bantu est celle de l’institutionnalisation d’un édifice des pensées profondes au cœur d’une jonction déterminée de tous les savoirs, en vue d’une célébration commune de l’identité bantu. Ce, en renouant, patiemment, le fil étiologique et les traditions subséquentes, loin de la tyrannie d’une pensée monolithique bantu. En effet, l’idée maîtresse émise par les chefs d’Etats Bantu lors de la création du CICIBA (en 1983) était, entre autres, de mettre en place la plus grande banque de données culturelles informatisée en Afrique. Et, sur cette même base, bâtir un corps de recherche et des productions scientifiques et culturelles pan-bantu bien à la hauteur de la double quête d’être-au-monde et d’être-ensemble convoquée par une telle exigence, dans une fierté et dignité réaffirmée, au cœur d’une communauté de destin solidaire. La réalisation de ce projet implique de ce fait : la collecte, le stockage, et la diffusion des données les plus inédites sur la culture des peuples bantu dans leurs diversités. Il sied d’avoir à l’esprit que collecter une telle masse de données multimédia représente des années de recherches sur les peuples bantu de tous les horizons : ceux d’Afrique Centrale, Orientale et Australe. Il y a là tant d’espaces plastiques qui sont autant de lieux de mutualisation de fraternisme, d’humanisme et de partage de valeurs, dont les limites lointaines s’étendent jusqu’à la diaspora bantu des peuples des Amériques. Tout cela nous amène à remonter jusqu’au temps de la traite négrière, l’esclavage et l’idéologie deshumanisante sous-jacente. La Banque de données constitue le programme permanent et névralgique du Centre ; elle est l’élément central du CICIBA, miroir et repère sur lesquels s’appuient les programmes de recherche et de production du CICIBA pour son meilleur positionnement en tant que foyer producteur de science et promoteur de culture bantu à l’échelle internationale. La réalisation et l’agencement cohérent de toutes ces données, dans un réseau solidaire et ouvert sur le monde multipolaire d’aujourd’hui, est appelé à donner naissance, au sein du Centre, à une gestion entièrement numérisée des données dans le cadre de ce que nous appelons le e-CICIBA. En cumulant savoir endogènes et intelligence éprouvée au fil des siècles, il s’agit de développer un vaste programme de communication et d’échange d’informations en ligne fondé sur une interconnexion solidaire avec les Commissions nationales du CICIBA, les Universités partenaires, les Etats membres et l’ensemble du réseau des grands centres de recherche du monde entier intéressés par la réalité bantu.

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Le fait bantu est une réalité humaine, culturelle, globale, qui mérite d’être soumis à des études multidisciplinaires tout en prenant, il va sans dire, les précautions épistémologiques usuelles.

Comme discipline mère du CICIBA, par le passé le seul champ de l’archéologie a fait l’objet d’études minutieuses, intéressantes et suffisamment documentées. Dès le début, les travaux archéologiques ont été pilotés par d’éminents chercheurs comme : Pierre de Maret, Simiyu  Wandibba, David W. Phillipson, Marc Ropivia, Bernard Clist, Raymond Franchani, L. Digombe, P.R. Schmidt, M. Locko, V. Mouleingui-Boussou, et bien d’autres spécialistes de haut niveau.

Avec une remarquable intuition heuristique doublée d’une rare érudition, les travaux de ces experts se sont intéressés principalement à l’étude des monuments muets du monde bantu, des traces inertes, des objets variés sans contexte, ainsi qu’à tant d’autres choses héritées du passé (préhistorique et historique).

Ont donc été mises à jour, à l’issue de leurs travaux de terrain, tant d’expériences cognitives de l’Afrique « archaïque » saisies à partir de ses migrations, du décryptage patient et docte d’iconographies rupestres, des pratiques funéraires et mémorielles, des technologies et industries subséquentes diverses : lithique, métallurgique, cuprifère, aurifère… ; de même qu’à travers l’art de la vannerie, l’habitat rural primitif, la céramique, etc. Certaines de ces pièces, comme témoins de ce passé archaïque si inventif, ont fini par intégrer les musées du CICIBA et ceux de ses pays membres.

Aujourd’hui, au moment où l’on s’apprête à passer de « l’Archéologie de l’Afrique » à « l’Archéologie des Africains » (Holl, 2015), ce champ connaît de fulgurantes avancées qui, portées par une dynamique nouvelle, mériteraient d’être capitalisées par le CICIBA à l’aune des dernières découvertes et de l’affinement d’approches euristiques développées en ce domaine. Tout cela articulé dans une double dialectique de la conscience de soi et de l’expression affirmée de l’altérité bantu.

N’étant pas contraint indéfiniment de concentrer tout l’effort d’investigation essentiellement sur des « ruines » immémoriales, l’expérience de terrain au CICIBA instruit, aujourd’hui tout en conservant le même degré d’enthousiasme, de transcender l’archéologie lithique, métallurgique ou funéraire en élargissant, loin de l’inclination atomistique, son champ épistémologique à toutes les autres archéologies : historique, culturelle, noétique, productive, olfactive, expansive… Perspectives articulées comme support privilégié d’une « anamnèse reconstructrice » du riche passé bantu destiné à instruire le présent sur le génie créateur des devanciers.

Le domaine de l’étude des langues bantu a toute sa place dans l’affirmation et la consolidation de la conscience bantu. Depuis l’incipit offert à ce champ, en 1862, par le philologue allemand Wilhem Bleek, les recherches postérieures ont, chemin faisant, permis l’émergence de la « bantouistique », discipline générée par la linguistique historique du monde bantu.   Peut-être faudrait-il prendre langue ici avec un discours qui dit le bantu dans sa double quête de se forger une identité linguistique et ses figures discursives saisies au stade épistémologique (Kuhn et Popper).   Liées aux migrations lancinantes à travers les temps, les langues bantu procèdent d’une polarisation graduellement diffractée. Estimées entre 400 et 500, l’homogénéité des langues bantu est aujourd’hui une réalité assez nettement visible autant que les travaux de Meinhof (1907) et de bien d’autres chercheurs africains en font foi.   De ces travaux pionniers, il résulte une intéressante grammaire comparée, fondée sur plus ou moins 3 000 racines. Celles-ci sont rigoureusement identifiées comme éléments de base de ce que les scientifiques appellent, avec sa part d’ambiguïté et d’auto-questionnement, le « proto-bantu » ou « bantu commun ».   Bien entendu une telle réalité historique, un peu à l’image des langues indo-européennes, suppose une langue commune matricielle pré-dialectale. On retrouve un effort de dépistage à travers la célèbre carte de l’expansion du bantu common établie par Sir Johnson en 1886.   Depuis, la linguistique bantu a connu, au sein du CICIBA, une exploration rigoureuse tant de la part des chercheurs africains que de ceux venus de l’Occident. Théophile Obenga, Mukumbwa Lisimba, Kwenzi Mikala, K. Kadima, Charles Binam Bikoï, F. Nsuka Nkutsi, G. Puech, J.-M. Hombert, F. Lumwamu, J. M. Rurangwa, Patrick Bennett, Malcolm Guthrie, J. Greenberg, Bryan, Murdock,  A. E. Meeussen, André Coupez, B. Heine, F. Rottland, etc. font partie, entre autres, des experts les plus érudits qui ont donné ses lettres de noblesse à cette recherche.

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A la lumière des ressources de la paléontologie, il est permis de noter que l’anthropologie bantu tire, en l’espèce, ses meilleures estimes de son statut de « berceau de l’humanité ». On en situerait l’origine dans les fossés tectoniques subméridiens du Rift Valley (cf. Les peuples bantu. Migrations, expansion et identité culturelle, CICIBA, 1989).

Autant dire que l’anthropologie a, elle aussi, toute son importance dans les études des Bantu, si tant est que son objet participe de l’étude sans a priori de « homme total » et sa dignité d’homme (au sens de Cassirer, 1972) dans son rapport à son milieu culturel et son intimité tellurique.

Sans restreindre son champ à l’étude exclusive des « sociétés sans écriture » (sous le prisme dialectique de l’inscription et de la production d’idées), tel que l’envisageaient les chercheurs africanistes des temps premiers, le CICIBA attend de la part de la nouvelle génération d’anthropologues africains ou autres une contribution substantielle à la connaissance de l’être bantu dans son identité objective, plurielle et dynamique.

A cet égard, sortant du champ clos de l’archéologie et de la linguistique des origines, les interrogations sur le Muntu et ses expériences sociales, sociologiques, sociétales, étant multiples, le CICIBA privilégiera d’explorer tout le spectre qui tisse objectivement l’univers culturel bantu en y intégrant des variables  comme : l’organisation socioculturelle, les croyances, les idéologies, la philosophie, les systèmes symboliques, les technologies, les arts, la pharmacopée, l’habitat, les modes de production économique, culturelle, alimentaire, etc.

Il y a, à cet égard, tant de perspectives qui ne pourraient trouver sens que dans une approche interdisciplinaire habilement articulée.

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Entre le Muntu et son monde, l’art constitue un sous-bassement essentiel en tant que vecteur d’une pensée symbolique capable de lui offrir les moyens d’affirmer son identité la plus emblématique.

Le domaine de l’art est celui qui, par la densité et l’originalité de son inventivité en zones bantu, permet d’établir des foyers, des forges créatives et des identités pérennes bantu.

A travers les âges, l’art bantu a montré en quoi il est le domaine miraculeux de la rencontre du beau, du bon et du symbolique. Sous ses diverses déclinaisons, l’on comprend aisément pourquoi l’art est présent dans tous les aspects de la vie bantu. Comme l’indique Rodin, c’est ici que l’art, en terme de phénoménologie de la perception, assume sa fonction de passeur d’identité, culminant dans une médiation sur l’altérité, en tant qu’il est un « exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre » aux autres.

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Partout, en zones bantu, gravures, peintures rupestres, céramique, musiques, chants, danses… ; arts de l’image, du son, du corps ou de l’espace… participent d’un discours symbolico-esthétique chargé d’une grande noblesse. Qui fait de l’art l’expression la plus abyssale et la plus exaltante de l’état de conscience, sinon de la personnalité.

A cet égard, dans l’agenda scientifique du CICIBA, l’art mérite d’être étudié pour ce qu’il est, au-delà de nos yeux temporels, dans une Totalité du sens et une sensibilité humanistante.

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Du reste, la série d’activités artistiques organisées jusqu’ici par le CICIBA a montré toute sa détermination à accompagner et promouvoir, hautement sensible à l’ouverture de tendances nouvelles et aux sensibilités individuelles, l’inventivité bantu sur la base des critères endogènes.

  De nos jours, il est permis de regarder la production littéraire de l’aire bantu sous un double prisme : écrit et oral.   Reliée aux signes graphiques, aux styles, à l’esthétique scripturale et à un savoir hautement normé, la première catégorie productive est de nature technicienne, docte, érudite. Elle est du domaine de l’écriture (au sens d’inscription et de production de la pensée ou des éléments textuels voyageurs dont parle P. Zumthor) comme art et critère d’éligibilité aux canons universels.   La seconde, quant à elle, est verbale, avec ses capacités de mémoire et de béance. Relevant plutôt d’une empiricité familière, cette dernière est à la portée de l’Afrique bantu depuis sa plus haute antiquité, obéissant à une raison ontologique endogène. D’une production abondante, mais fragile, manipulable à souhait, cette forme de littérature est de l’ordre d’une « civilisation de l’oreille » sous-tendu par des logiques intrinsèques de l’oralité au moyen d’adjuvants mnémotechniques particuliers.   Deux Afriques sont ici à l’œuvre : d’une part, une Afrique bantu dite « policée », « évoluée » ; une Afrique qui écrit et communique en langues étrangères ou, dans une moindre mesure, en langues bantu ; et, d’autre part, une Afrique bantu dite « archaïque », « désuète », celle qui s’est littérarisée in illo tempore en privilégiant l’usage d’un verbe ourlé de la finesse et des pirouettes de ses propres figures langagières[1].   Pour le CICIBA, il ne s’agira ni de les opposer, ni de fondre l’une dans l’autre, mais plutôt d’en relever — sous forme de bilans ou d’anthologies tout en conservant la part de magie de chaque mode d’expression — les richesses, les saveurs, les singularités, les originalités, ainsi que le coefficient émotionnel qu’elles offrent, comme legs et contribution, à notre espace culturel commun et au monde. [1] Amidou Allhamdou a raison lorsque, surfant sur l’ambivalence que le terme « littérature » semble susciter dans le chef de certains Occidentaux, il soutient : « Dans les sociétés à écriture, on confond souvent « littérature » et « production d’œuvres écrites ». C’est un truisme de signaler qu’une œuvre n’est pas littéraire du seul fait qu’elle est écrite. Et pourtant pour qu’une œuvre soit littéraire il n’est pas indispensable qu’elle soit écrite », cf. Amidou Alhamdou, « Aspects de la théorie de l’ethnotexte », in Les Cahiers du CELTHO, vol. 1, 1986, p. 9.

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L’Afrique a-t-elle une philosophie (au sens grec philein sofia) ? Est-elle capable de philosopher ? Telle est la question qui divise encore, dans le cadre de l’affirmation de la pensée déterminée de la culture africaine, les cénacles des opérateurs africains de la pensée. Loin d’attiser les braises de la controverse quant à ce, le CICIBA opte pour un compromis. Celui qui, dans un effort d’intellection foncièrement bantu devrait aider à une  saisie idoine de l’être dans toute son étendue, dans ses abysses ontologiques, ses représentations centripètes, et dans une bonne capture de l’au-delà de l’être comme sujet de/ou à philosophie.

L’essentiel est d’arriver, à l’aide d’un schème noétique typiquement bantu[1], à investir de manière heureuse ce « territoire » hadal de tous les enjeux, où se conçoit, s’organise, se modèle et s’affirme la pensée intime adossée à une sagesse (sofia) bantu originale et immémoriale. Peu importe le nom qu’on lui donnerait par la suite.

Tout en promouvant la dignité théorique de la pensée afro-bantu, le CICIBA reste ouvert à tout effort de recherche capable de porter avec l’exigence voulue sur l’histoire des idées, les modes de pensées et de toute autre forme de représentation de l’univers humain et leurs modalités logiques, élaborée au cours des temps par les Bantu de quelque lieu.

Le rapport au sacré, à la spiritualité, aux forces de la nature, au Transcendant… constitue, par ailleurs, un champ de recherche susceptible de contribuer à la meilleure connaissance de l’univers religieux afro-bantu dans sa pluralité.

Il s’agit, ici, particulièrement de l’univers d’un discours sur l’herméneutique de la condition de l’homme, articulé au-delà de la Memoria sui, c’est-à-dire au-delà de soi, des discours et préjugés dogmatiques ambiants. Discours vécu, à l’échelle collective, par la civilisation bantu comme moyen (par l’accumulation des artifices du sacré) d’accès à la plénitude de la vie ; et, aussi, comme support d’ancestralisation, voire de réitération rituelle de la cosmogonie, dans l’économie du divin et de l’humain, du transcendant et de l’immanent.

[1] A ce sujet le professeur Bonaventure Mvé-Ondo a raison d’affirmer : « Nous, Africains d’aujourd’hui, qui répugnons désormais aux interrogations sur la valeur de nos modes de pensée, de nos modes anciens de pensée, cherchons à nous installer dans le mode du discours logocentrique, le mode de pensée de l’Autre. Mieux encore, nous privilégions d’instinct les questions de méthode plutôt que les questions de fond » (cf. « Préface », pour Critique de la raison orale de Mamoussé Diagne, 2005 : 5).

  L’histoire est une réflexion rigoureuse sur le passé. Elle procède du désir de connaître — assorti d’un effort d’explication — les cheminements des sociétés humaines, l’évolution de leurs pensées, les transformations de leur industrie… dans le temps et dans l’espace, aux fins de nourrir le présent et le futur.   A ce titre, l’histoire participe formellement d’un discours scientifique sur le passé[1]. Attachée aux piliers des temps et des lieux, dans son opérationnalité l’histoire s’instruit de la méthode adossée à l’objectivité. Donc ici aussi, en zone bantu, l’historicité survint un jour lorsque les peuples bantu prirent conscience d’eux-mêmes, de leur passé et de leur futur.   Associés aux phénomènes physiques, à l’univers botanique et animal, temps et lieux en viennent, à une autre échelle, à composer aussi avec la réalité de l’espace géographique. Autant dire que la chronologie et la géographie de l’aire culturelle bantu forment les deux yeux de leur propre histoire. En ce sens, elles devraient revêtir encore plus de pertinence en tirant le meilleur parti des ressources à leur apporter par l’archéologie, la tradition orale et écrite, la linguistique historique (en l’espèce, la bantouistique), la paléobotanique…   Dans le dessein de transcender les acquis actuels, les études attendues dans ces domaines visent à répondre de manière cohérente à une série d’interrogations restées parfois sans réponses en rapport avec les aléas liés aux migrations, à la dation, à la chronologie, à la gestion des écologies au cours des âges, aux signes des temps et modes de production, aux systèmes d’échanges économiques, aux conséquences des assauts dévastateurs contre l’écologie et la ceinture environnementale, à l’ethnozoologie, etc. — à l’échelle de tout l’espace culturel bantu. [1] La question de la méthode est donc au cœur de cette démarche en tant qu’opportunité susceptible d’aider à bâtir une historiographie plus solide. C’est que l’un des préalables à cet effort est, avant tout, « de jeter un regard rétrospectif critique sur l’héritage qui échoit aux chercheurs africains contemporains dans leurs rapports avec les monuments de la connaissance historique légués par les africanistes européens, leurs devanciers qui par le fait même sont considérés comme des pionniers en la matière. Cela suppose que l’on prenne d’abord la mesure de l’acte posé à travers une transcription quelles que soient ses modalités, surtout dans le domaine des traditions orales », cf. F. de Medeiros, « De la parole à l’écrit. L’historiographie africaine devant une tâche délicate », in Les Cahiers du CELTHO, vol. 1, 1986, p. 14.

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Préserver et conserver les valeurs authentiques de la civilisation bantu figure parmi les ambitions majeures du CICIBA. Une telle quête implique une connaissance approfondie du legs ancestral, un effort soutenu dans la continuité et la promotion de cet héritage dans le temps contemporain au cœur de la société bantu, autour des apparentements de la famille, lignages, des clans, des tribus, des ethnies, de sang, de langue et de culture.

De la part des experts de la sociologie, le CICIBA mise sur un regard plus instruit sur tout ce qui concourrait à la connaissance objective des faits de société bantu, mieux des formes de sociabilité, à tous les niveaux d’intelligibilité des héritages cumulés d’une civilisation originale et dynamique.

Ainsi les études sociologiques bantu feraient-elles sens en s’étendant à toutes les formes de « représentations sociales ». Autrement dit, à l’ensemble des préoccupations sociales, politiques, économiques, culturelles ou médiatiques, cristallisées dans des actes individuels ou collectifs du monde bantu. 

Pour mieux saisir cet univers culturel, à un autre stade gnoséologique, il est parfois nécessaire par le biais de la sémiologie, d’en maîtriser ses principaux signes. En tant qu’art de représenter les choses par les lignes ou les figures, la sémiologie est donc, tour à tour, « liseuses des signes », « quête de sens » et, à terme, « pourvoyeuse de sens ». Comme l’indique justement André Yoka Lye, il est acceptable que le sémiologue n’est « ni prophète, ni oracle, ni juge pour rechercher toute la vérité, rien que la vérité ». Il est tout juste celui qui aide à comprendre certains métalangages en tant que source révélatrice d’un savoir crypté.

Mythogramme, pictographie, cauris et dessins de l’oracle sur la table de divination, idéogrammes, scarification cutanée, scarification sur masques ou sur figurines des sociétés initiatiques… sont autant de lieux euristiques qui font partie de l’univers graphique bantu, adossés à une certaine théorie des signes, et soumis au savoir instruit du sémiologue. Ils le sont au même titre que toute écriture, sacrée ou profane. Légitimement, ils constituent un sujet d’étude soumis à la même attention à accorder à la découverte du savoir bantu.

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A la faveur de la traite négrière saisie sur ses deux flancs (transatlantique et arabe), les déportations et transplantations massives de tant d’hommes et femmes porteurs des civilisations bantu, loin de leurs ancrages fondateurs, ont occasionné ipso facto une migration forcenée d’un pan de leurs civilisations au-delà de l’Afrique.

Du frottement de tant de cultures éparses sur de nouveaux lieux ultramarins, il en a découlé une néo-culture bantu « transculturée » (selon le mot de Fernando Ortiz). Nos connaissances sur cet aspect douloureux de l’histoire d’un holocauste qui ne dit pas son nom et ses conséquences postérieures (positives et négatives) méritent d’être étudiées et approfondies des deux côtés des rives océaniques.

Un espace important est accordée, dans l’agenda scientifique du CICIBA, aux études créoles, domaine par excellence du comparatisme. Le CICIBA mise sur une solidarité épistémologique, dynamisée par des regards croisés, impliquant les chercheurs africains et leurs homologues de la diaspora africaine.

Par le biais d’une telle synergie, le CICIBA espère que ce pan des civilisations bantu si souvent négligé dans les recherches africaines, retrouvera toute la place bien à la mesure de la pertinence qu’il mérite. Ce, en vue d’une meilleure saisie de la réalité bantu dans sa dimension holistique, (trans)culturelle.

A ce champ de recherche, il est recommandé d’appliquer une approche cumulativement comparatiste, interdisciplinaire capable de s’arrimer, selon les cas et en fonction des nécessités méthodologiques du moment, à l’orthodoxie des postcolonial studies[1]. D’autant que le but, ici, est de faire découvrir des idiosyncrasies, à bien des égards nouvelles et particulières, nées d’un phénomène complexe d’hybridation des imaginaires ayant croisé (dans les urgences de la polygenèse créole issue d’une sorte de palimpseste refondateur forgé en « exil ») les réalités comme :

  • la créolisation,
  • la conculturation,
  • la transculturation,
  • la déculturation,
  • l’acculturation,
  • la néoculturation…

Il y a là tant de marqueurs d’une hybridité originelle articulée sur fond d’un dérèglement de l’identité primordiale bantu.

 

[1] Cela dans la mesure où le bantu Créole issu de cette tragique histoire de la déportation, en tant que sujet créole polyculturé, ne doit pas être vu indéfiniment « comme un dominé condamné à subir l’histoire, enferré dans le silence et l’inaction, mais [aussi] comme un sujet vivant [fondateurs de nouvelles civilisations bantu post-déportation], conscient et agissant, comme un acteur de plein droit et de pleine légitimité historique (…) La construction des identités du sujet colonial, comme celle du colonisateur, s’élaborent à ce point entre monde colonial et monde colonisé, et la pensée coloniale postcoloniale tache d’analyser ces zones d’interaction, de contact et le vaste champ d’ambivalence qui en est le corollaire. » (A. Bembe, N. Bancel, « De la pensée postcoloniale », in Cultures Sud, no 165, avril-juin 2007, p. 86-87.

  Le CICIBA dispose d’un fonds documentaire unique en son genre qui couvre un très large spectre de la civilisation bantu. On y retrouve présentés sous formes de microfiches, microfilms, livres, plans et cartes, documents sonores, catalogues de l’Art contemporain Bantu. Il s’agit de tant d’ouvrages inédits et de références variés des informations de première main concernant l’univers bantu et ses connexions avec les autres cultures alentour. Cet extraordinaire fonds, fruit de fastidieuses et fécondes recherches menées à l’apogée de la recherche au Centre (1980-1999), constitue un trésor inestimable dont le CICIBA serait fier de mettre à la disposition des chercheurs du monde autant qu’il mérite d’être préservé en faveur de la postérité. La réorganisation technique de cette documentation figure parmi les priorités de la restructuration du Centre. Opération dont les articulations inspirent un travail de refondation à plusieurs niveaux : théorique, intellectuel, matériel, numérique.
  Une des recommandations de la Ve Session extraordinaire de la Conférence des Ministres de la Culture des Etats membres du CICIBA, organisée à Libreville en octobre 2008, fait obligation au CICIBA d’approfondir le projet à lui proposé par l’UNESCO concernant son éventuelle « reconversion » en « Centre de catégorie II pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel bantu ». Accueilli favorablement par la Conférence comme moyen de relance du CICIBA, il restait à clarifier les conditions de mise en œuvre d’un tel type de projet en sollicitant un large consensus des Etats membres, et en interrogeant  la responsabilité du Centre lui-même à l’aune de sa propre personnalité et son autonomie d’être en tant qu’organisation internationale multidisciplinaire. Un Comité ad hoc chargé de réfléchir sur cette proposition a été institué depuis 2011. Il a eu comme mission de préciser le fondement conceptuel de cette « conversion » autant que ses perspectives d’avenir en prenant en compte le contexte historique dont participe le statut actuel de l’Institution.