A l’occasion du lancement du “Magazine Trônes d’Afrique”

La Chefferie traditionnelle intègre l’agenda du CICIBA

A l’initiative de l’Association Esperanza-CADE du Cameroun, le 27 novembre 2016, l’Hôtel le Méridien de Libreville a abrité une attrayante séance de vernissage d’un magazine de communication nouveau nommé « Trône d’Afrique Magazine ». Invité privilégié de cet événement, le CICIBA a marqué cet événement de sa présence effective. Au terme de la cérémonie, le professeur Manda Tchebwa, Directeur Général du CICIBA, s’en est ouvert à la presse à travers cet échange :

 

Pourriez-vous nous situer le contexte de l’implication du CICIBA dans les activités de la chefferie traditionnelle bantu ?

DG : « Pour nous CICIBA, la chefferie traditionnelle représente les « sachants » de nos us, coutumes et traditions. Ils ont entre leurs mains la calebasse qui contient notre ADN essentielle. Nantis de la houlette de la sagesse, qui plus est gardiens de nos temples sacrés et détenteurs attitrés des emblèmes de notre être au monde et nos modes d’être avec les autres, les rois et chefs traditionnels, peut-être devrais-je affirmer comme certains traditionnistes, qu’en tant qu’hiérophantes des temps modernes, « ils sont à la racine de nous-mêmes ». Ne serait-ce qu’à ce titre, ils méritent toute notre déférence et la parfaite dévotion qui sied à leur statut. Ayant été invité au vernissage d’un Magazine consacré à l’actualité de la chefferie traditionnelle de notre sous-région, c’est avec un enthousiasme renouvelé que le CICIBA y accédé. D’autant que le domaine des traditions et de l’histoire des royautés, dont participe le fait bantu en tant qu’il est induit de l’onction sacrale des ancêtres, occupe une place essentielle dans notre cahier des charges en tant qu’institution de recherche scientifique vouée aux civilisations bantu. »

Et le CICIBA lui-même, où en est-on ?

DG : « Je voudrais vous rassurer tout de suite : le CICIBA existe. Le CICIBA existera toujours tant que la sève bantu qui fonde sa légitimité et ses ambitions continuera à couler dans nos veines. Il est vrai que le CICIBA a traversé une longue période d’hibernation. Tout cela est derrière nous aujourd’hui. Car une nouvelle équipe de direction, remise en selle par les Etats membres depuis 2014, agréée ensuite par le Gabon, le pays du siège, est aux commandes de cette Institution prestigieuse, créée en 1983 par Son Excellence Monsieur le Président Omar BONGO ONDIMBA, d’heureuse mémoire.

Je me réjouis de porter à votre connaissance que d’ici quelques semaines, nous serons heureux de vous accueillir dans notre nouveau siège, flambant neuf, que l’Etat Gabonais vient de mettre à la disposition du CICIBA, grâce à la clairvoyance de Son Excellence Ali Bongo Ondimba, Président de la République Gabonaise, Chef de l’Etat. Geste qui atteste toute l’importance et l’intérêt jamais démenti que le Gabon attache à ce projet hautement humaniste et fédérateur des peuples bantu. Il m’incombe de préciser dans cet ordre que la culture bantu, riche de ses diversités et de ses originalités, est, comme nous la percevons au CICIBA, de l’ordre de la Culture avec un C majuscule. C’est-à-dire une sorte de « liquide amniotique » dans lequel, partageant un même référentiel et arrimés à une âme commune, tous, nous nageons de manière immanente, tantôt comme acteur de cette même culture inscrite dans un ensemble, tantôt comme sujet légitime du Lieu auquel il nous réfère pour être.»

Qu’est-ce au juste ce liquide amniotique ?

DG : « Pour moi, il est question, à première vue, d’une sorte de grille référentielle intime qui alluvionne imaginaires et mémoires, affects et sentimentalité, objets et êtres alentours, dans une économie du commun et de l’humain, du spatial et du temporel, et qui se présente en définitive comme un « chatoiement où se lisent [quoiqu’en filigrane] la présence du passé et les échanges [nouveaux] qui ont suivi. » Il s’agit là d’un legs commun qu’il sied aux Bantu d’envisager comme un besoin de se sentir essentiel par rapport au monde. Tout délitement de cette grille constituerait sans nul doute un appauvrissement spirituel de la communauté. Partant, un rétrécissement de la conscience. Vu ainsi, il est donné de penser que la culture bantu est une donnée vivante, relevant certes d’un système paradigmatique et normatif à caractère socio-historico-ontologique, qui n’appartient pas en propre à un individu – en dehors de l’exigence d’interactivité avec ses congénères. La revendication de cette civilisation-là, nappée de toutes ses cultures multiformes, a, on le  voit bien, le mérite de créer un sentiment d’appartenance commune. Appartenance qui « nous » définit face à l’universalité en capitalisant, dans la persistance de nos différences, le rôle des histoires et de l’historicisation de chaque parcours intrinsèque au sein du groupe social. De cette sorte, il y a lieu de noter que la culture cesserait d’être culturelle si elle abdiquait à être un agir, un ressentir ou une pensée non partagée à l’échelle d’une communauté anthropologique donnée. Autant qu’il m’en souvienne, c’est l’UNESCO qui, tenant compte de la singularité des uns et des autres (dans une approche consensuelle et réaliste) semble avoir trouvé la définition la plus cohérente quant à ce. Dans sa Déclaration universelle sur la diversité culturelle, la culture est appréhendée comme « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social… Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » (2002). A ces valeurs, ajoutons l’alimentation, les langues et leur capacité de symbolisation, les technologies, l’artisanat, les savoirs endogènes, les pratiques rituelles, cultuelles, etc. Et plus important, l’organisation de la gestion du pouvoir, donc de la chefferie dans nos espaces du vivre-ensemble. Domaine dans lequel, l’Afrique bantu a su tisser l’unité du référentiel social et des modes d’être et d’agir autour des systèmes des royautés et des chefferies d’une originalité admirable. Cela, en s’efforçant d’installer l’humain et le commun dans un dualisme intime. Dualisme existentiel où « l’être social » qui est au cœur de ce système, pouvant être saisi aussi à partir d’une certaine perception androgyne (au sens des anthropologues), agit tour à tour comme « être singulier » (au sens nominaliste du terme) lorsqu’il opère à titre personnel, et comme « être collectif » lorsqu’il opère au milieu des siens en tant qu’acteur et agent (trans)porteur (parmi tant d’autres) d’une identité commune articulée à l’ordonnance de l’âme incarnée dans un corps social donné. »

Que peut-on attendre du Magazine Trônes d’Afrique ?

DG : « L’avènement de cet outil de communication vient combler un déficit en ce domaine qui est très peu connu. Raisons pour laquelle, comme le dit l’éditorial de ce Magazine “Trône d’Afrique”, un signal fort est lancé « à l’endroit de ceux qui, sous le prétexte d’un certain courant de modernisme, ont pensé qu’il fallait brûler les chefferies traditionnelles. Ces pourfendeurs de nos systèmes traditionnels se sont donné pour mission de n’en faire référence qu’aux travers des éléments d’informations qui garantissent une perception purement folklorique, contemplative, et qui confinent nos rois dans une logique d’enfermement et de balkanisation à l’intérieur des frontières héritées de la colonisation. » Donc, pour nous, le domaine de la chefferie traditionnelle apparaît clairement comme un fait de culture. Partant, un fait de culture bantu qui, au sein de nos espaces de convivialité, relève des stratégies globales dans les grands enjeux du pouvoir en Afrique, dans lequel il sied d’intégrer à sa juste valeur, en tant que chaînon manquant, la chefferie traditionnelle et son référentiel politique et sacré. »

 

Quelle est la dimension réelle du pouvoir traditionnel dans notre gouvernance contemporaine ?

DG : « Ce dont il est question ici, c’est un effort de reconnaissance d’un système de gestion du pouvoir par une réappropriation consentie du discours historique, des visions identitaires fractales et des ambitions d’une profonde cohésion de nos communautés nationales autour des valeurs ancestrales. Tout en reconnaissant que le monde est « divers », ce qui en réalité, d’après Stanislas Spero Adotevi, ne serait qu’une tautologie, il est question en fait d’enrober cette « diversité » sous la forme de la « différence » qui porte notre altérité, en fixant notre intelligence sur ce qui fonde réellement nos identités communes propres en matière de gestion du pouvoir traditionnel. Il nous incombe de ne pas perdre de vue que, en tant qu’humains, tous nos gestes quotidiens sont des gestes de culture. Ils disent ce que nous sommes, ce que nous sentons, ce que nous reflétons auprès de l’autre, ce que nous désirons. Tous nos gestes sont de culture et de sculpture d’espace ; ils témoignent pour aujourd’hui et pour demain. Ils célèbrent notre glorieuse et triomphante humanité. Nos gestes sont appelés à trouver leur expression la plus noble sur le grand théâtre de la vie de la Cité autour de cette grande calebasse de la culture collective qui est entre les mains de nos Chefs. C’est à cette aune que la culture, elle qui est d’essence ontologique et symbolique, revêt son auréole d’éternité.

Lorsqu’on jette un regard sur les derniers développements de l’actualité dans notre sous-région, en zone bantu, on voit bien que le concept dialogue est revenu à la mode, parfois calqué sur les vertus de l’arbre à palabre antique. Que peut-on y voir comme symbole ?

DG : « Les faits et l’histoire sont têtus. Sous nos yeux, ils démontrent que la culture, que dis-je, la culture du dialogue social n’est pas une vue de l’esprit. Que le dialogue est l’arme des sages, l’instrument privilégié d’une meilleure cohabitation entre gens aux opinions divergentes, parfois antagoniques, voire inconciliables. Que le dialogue, des esprits ou des corps, est ce que le philosophe Hegel pense être au commencement de la civilisation, au commencement de toute société policée, au commencement de tout l’homme. Voilà que les hommes politiques des temps modernes prêchent, eux aussi, par un exemple d’ouverture à l’autre, qui leur permet de fraterniser davantage au cœur de ce que Paul Ricœur appelle, en d’autres termes, le centre éthique et mythique de l’humanité, auquel la chefferie traditionnelle a sans aucun doute à apporter sa sagesse. Le recours au dialogue est un rite de fondation éthique et humaniste à mettre au service d’une culture de la tolérance mutuelle,  de la fraternité, de la commensalité. C’est un appel à l’unité et à la fraternité des corps et des esprits dans la chaleur d’un humanisme sincère, sans arrière-fond alterocide. Le combat du CICIBA, est aussi à cette aune-là. Vous le voyez : quand  il s’agit de produire de la bantuité positive, toutes les voies sapientielles méritent d’être explorées dans l’intérêt bien compris de la cohésion au sein de notre espace culturel »

Concrètement comment comptez-vous marquer votre attachement à la chefferie traditionnelle ?

DG : « Une journée destinée à célébrer la chefferie bantu sera instituée dès cette année dans l’agenda du CICIBA. Ses articulations sont à l’étude. Elles ont déjà fait l’objet d’un échange constructif avec une importante délégation des Rois et chefs traditionnels à Libreville au mois de juillet et novembre de l’année 2016, lors de nos différentes visites auprès leurs Majestés. Des perspectives heureuses sont envisagées. »

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